Dans toutes langues, sur tous les tons, mais souvent avec un air dépité la question revient: «Qu’est-ce qu’elle a la Joconde?»
Dans toutes langues, sur tous les tons, mais souvent avec un air dépité la question revient: «Qu’est-ce qu’elle a la Joconde?» «Mais pourquoi, c'est le tableau le plus connu du monde?» «Bon, j'vois pas…». Evidemment, en face il y a les "Noces de Cana", de Véronèse (Aile Denon, salle de la Joconde). Un immense tableau (6,66 m de heut, 9,90 m de large) qui en impose. Le Christ assiste à un mariage (Jean 2 1-12) et accompli son premier miracle en changeant l'eau en vin, sauvant ainsi le banquet. Il y a là 130 personnages dont, dixit la légende (2), Titien à la contrebasse, Tintoret au violon et Véronèse lui même à la contrebasse. Une véritable BD devant laquelle il est possible de passer des heures sans être gêné puisque la bousculade est derrière à quelque mètres. [1]
Mais la Joconde, qu’est-ce qu’elle a la Joconde? Le tableau le plus vu du Musée du Louvre –il faut jouer des coudes pour l’apercevoir, une barrière semi-circulaire empêche ses admirateurs de l'approcher– et sans doute le plus connu du monde est aussi celui qui est le plus étudié. Mais personne n'est capable de donner une réponse simple à la sempiternelle question: pourquoi la Joconde?
Un vol, un enlèvement
Un premier élément de réponse n’a rien à voir avec l’art. Le 21 août 1911, le tableau disparaît. Volé. Enlevé, plutôt. À l'époque, c’est une affaire considérable puisque Guillaume Apollinaire et Pablo Picasso seront soupçonnés d’avoir commis le forfait. L’opinion publique se mobilise, la Société des Amis du Louvre promet une rançon de 25.000 francs lourds, un anonyme double cette somme, l'Illustration, Paris Match de l'époque, promet 50.000 francs à qui rapportera la Joconde au siège du journal. Rien ne se passe. Deux ans s'écoulent. Le tableau réapparaît en Italie où un homme, Vicenzo Perugia, le propose à un marchand d'art florentin. Ce dernier alerte les autorités et le tableau réintègre le Louvre. Vincenzo Perugia, vitrier, avait travaillé au palais du Louvre pour mettre sous verre les plus beaux tableaux du musée. Il avait simplement décroché la Joconde et était parti avec elle sous le bras pour la «conserver» dans une valise sous son lit! Mais la disparition de l'œuvre n'explique pas tout. Comme le montre Nathaniel Herzberg dans Le Musée invisible, des milliers d'œuvres ont disparu à travers la planète sans provoquer une telle onde de choc en Europe, mais aussi aux États-Unis ou en Asie.
30 couches de l'épaisseur d'un demi-cheveu
Approchons-nous virtuellement de la Joconde. Grâce à un zoom numérique, vous pouvez vous promener sur la toile, ou plus exactement sur le panneau de peuplier qui lui sert de support de 77 cm de haut et de 53 cm de large. À l'œil nu, rien de particulier. Pour entrer dans le tableau, des chercheurs de l'Union européenne, dans le cadre du projet EU-ARTECH, ont utilisé la spectroscopie de fluorescence X pour étudier la technique appliquée par Léonard de Vinci. Pas besoin de prélèvements même microscopiques de peinture pour découvrir le secret du sfumato. Le sfumato permet d'effacer les contours et en même temps de donner de la profondeur.
En fait, «le maître appliquait 30 couches ultrafines de peinture et de vernis sur ses oeuvres, pour une épaisseur totale de 30 à 40 micromètres (la moitié de l'épaisseur d'un cheveu). Les chercheurs ont également découvert que de Vinci continuait à développer et à tester de nouvelles méthodes. Pour les effets d'ombres sur Mona Lisa, par exemple, il a utilisé de l'oxyde de manganèse, alors qu'il avait utilisé du cuivre pour les autres.» Soit, mais cela n'explique pas la foule qui se presse.
Leonard invente le premier «cheeeeese»
Eloignons-nous et observons le visage de Mona Lisa. Son sourire.
C'est évidemment son sourire sur lequel on doit s'arrêter. Pierre Rosenberg, l'ancien président du Louvre, parie sur le sourire de plénitude, au sens propre du terme, d'une femme enceinte. Daniel Arasse, l'auteur de Histoires de peintures et de On n’y voit rien, livre un détail essentiel. «En fait, c'est Léonard qui a inventé l'idée de faire un portrait avec un sourire. Il n'y a pas de portrait souriant avant La Joconde, à l'exception du tableau d'Antonello de Messine, l'Homme qui rit, conservé à Cerfalù, en Sicile.» Et celui qui dit avoir mis vingt ans pour aimer La Joconde ajoute une perfidie.
«Antonello est un très grand peintre, mais son sourire, en fait un rictus, n'est pas réussi et produit l'effet d'une grimace.» Léonard de Vince aurait en somme, le premier, demandé à son modèle: «un sourire…», «a smile…», «cheeeese…»
Mona Lisa sourit, sans niaiserie, parce que son mari la comble et qu’il a commandé son portrait à Maître Léonard. Il s’agit donc encore d’une plénitude, sociale cette fois. Mais pourquoi ce sourire devient-il fascinant? Parce ce qu’il s’oppose ou fait le lien, comme on voudra, avec le chaos du second plan. Il y a la sérénité d'une femme et un paysage chaotique, incohérent. Les deux agissent comme un oxymoron visuel se renforçant en s’opposant. Le chaos devrait mener à l’effroi, il porte le sourire de Mona Lisa, l’épouse comblée de Francesco del Gioconde.
Mona Lisa Boudha
Reprenons ce sourire à notre compte et rapprochons-le de celui de Boudha. Ses représentations se distinguent les unes des autres par la réussite ou l’échec du sourire. Un sourire jocondien est une réussite, à moins que cela ne soit l’inverse. La Joconde serait une incarnation féminine de Boudha, l’homme ou la femme qui a trouvé la sérénité. Léonard de Vinci a mis cinq ans pour peindre son chef d'œuvre.
Philippe Douroux
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SOURCE: www.slate.fr
Photo: La une du Domenica del Corriere en septembre 1911. Dans Le Musée Invisible de Nathaniel Herzberg.
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