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Tchernobyl: un des photographes se souvient



Peu après l'explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986, le photographe Igor Kostine s'est rendu dans la zone de danger: les radiations y étaient si fortes qu'elles ont entièrement voilé ses pellicules photos. Vingt-cinq ans après, le photographe se souvient:
fortement irradié, Igor Kostine aujourd'hui âgé de 74 ans a survécu, au prix de plusieurs hospitalisations et opérations de la thyroïde. Mais nombre de ses camarades, et des "liquidateurs" qu'ils accompagnaient, sont morts des suites de cancers.
Dans les heures qui ont suivi l'explosion du réacteur numéro quatre de Tchernobyl, en Ukraine, le reporter de l'agence Novosti s'est débrouillé pour embarquer dans un hélicoptère survolant la centrale. A cet instant, les autorités soviétiques tiennent encore l'accident secret. Igor Kostine, prévenu par un informateur, est un des premiers sur les lieux.

Igor Kostine se souvient encore de la voix du pilote, à bord de cet hélicoptère au plancher recouvert d'une carapace de plomb, annonçant des niveaux de radioactivité alarmants.

"Les ruines du réacteur sont sur la droite", se rappelle le photographe. "'Cinquante mètres du réacteur, 250 Roentgen', dit le pilote. J'ai ouvert le hublot et shooté (le réacteur éventré). C'était stupide", dit-il.

Aucune image ne subsiste de ce survol, au coeur du nuage radioactif: les rayons ont surexposé les pellicules, qui deviennent noires. Neuf jours plus tard, Igor Kostine et deux autres photographes, Valery Zoufarov et Volodymyr Repik, sont autorisés officiellement à se rendre sur place. Igor Kostine accompagne les "liquidateurs", ces soldats envoyés déblayer les décombres de la centrale.

Sur le toit du bâtiment voisin du réacteur détruit, Kostine doit travailler vite. "Ils comptaient les secondes pour moi. Une, deux, trois. Quand ils annonçaient '20', je devais descendre du toit. C'était l'endroit le plus contaminé, avec 1.500 Roentgen par heure. La dose mortelle est de 500 Roentgen", a expliqué Igor Kostine à l'Associated Press. "La peur est venue après".

"C'était une autre dimension: les ruines du réacteur, les gens avec des masques", inefficaces contre les radiations, "les réfugiés. Tout ça ressemblait à la guerre", contre un ennemi "invisible, silencieux, et donc encore plus dangereux".

Les soldats, qui se relaient par équipes de huit hommes, ne peuvent pas travailler plus de 40 secondes sur le toit du bâtiment du réacteur quatre. Portant une lourde combinaison doublée de plomb, qui entrave leurs mouvements, ils ont à peine le temps de jeter quelques pelletées de débris du toit dans le trou béant creusé par l'explosion.

Anatoly Rasskazov, photographe officiel de la centrale, fut le premier à travailler sur place, prenant des clichés et réalisant une vidéo le 26 avril à midi, un peu moins de 12h après l'explosion survenue vers 1h30 du matin. Les images furent soumises à une commission spéciale le 26 avril à 23h, et saisies immédiatement par les services de renseignement, explique Anna Korolevska, directrice adjointe du musée Tchernobyl à Kiev.

La catastrophe ne fut annoncée officiellement que le 29 avril. Deux photographies seulement d'Anatoly Rasskazov ont été publiées en 1987, sans mention de leur auteur. Le photographe est mort en 2010, après des années de lutte contre le cancer et des maladies du sang, imputées aux radiations. Valery Zoufarov n'a pas non plus survécu. Il est mort en 1993 à l'âge de 52 ans, également des suites de maladies liées à l'exposition aux radiations. Photographe de l'agence de presse TASS, il a pris des clichés d'un hélicoptère survolant le réacteur, à une hauteur de seulement 25m.

Igor Kostine n'a eu de cesse, depuis 1986, de porter témoignage du calvaire des "liquidateurs", et des habitants. Il a photographié les villes et villages désertés, les enfants nés avec des malformations, les rescapés atteints de cancers ou de leucémie, la construction du "sarcophage" au-dessus du réacteur numéro quatre.

Son travail a été récompensé par le World Press Photo, prix le plus prestigieux du photojournalisme. Les images le hantent encore. "Où ai-je vu ça? Dans un film? Ou quand la guerre a commencé, quand j'avais cinq ans?", s'interroge-t-il.

Vingt-cinq ans après la catastrophe, les scientifiques restent divisés sur ses conséquences sanitaires. Selon des chiffres du Forum Tchernobyl, regroupant des institutions internationales dont l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), 28 personnes sont mortes dans les jours qui ont suivi l'accident, et plus de 6.000 cas de cancers de la thyroïde ont été détectés parmi les personnes les plus exposées, en Ukraine, Biélorussie (aujourd'hui Belarus) et en Russie.

D'après l'OMS, on peut en outre s'attendre à 4.000 autres cancers mortels dans les années à venir. Mikhail Balanov, du Comité scientifique de l'ONU sur les effets des radiations atomiques, souligne que les projections sont toutefois difficiles à établir, en raison de la trop grande marge d'erreur des différentes études.

La contamination des terres et végétaux -dont les champignons et fruits des bois, très prisés en Ukraine- reste par contre une réalité, ajoute-t-il, et "pour des décennies". Environ 115.000 personnes ont été évacués des environs de la centrale après l'accident. Une zone de 30km autour de la centrale est toujours inhabitée. Dans ce sinistre périmètre, seuls vivent quelques centaines d'oubliés, habitants revenus malgré les mises en garde officielles, trop vieux ou trop las pour s'installer ailleurs.

A quelques kilomètres de la centrale, Pripyat, autrefois ville-modèle construite pour les employés et leurs famille, est aujourd'hui une ville fantôme, totalement abandonnée.
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Anna Melnichouk
SOPURCE: ASSOCIATED PRESS

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