Pour la première fois, deux sociologues décryptent le parcours de ceux qui ont gagne des millions et qui apprennent à être riches.
Qui n'a pas rêvé de gagner un jour au loto, s'imaginant déjà au volant d'une Ferrari, aux commandes d'un yacht aux Antilles ou propriétaire d'un château de conte de fée ? Mais que sait-on vraiment de la vie de ceux qui sont devenus soudainement millionnaires par la grâce du hasard et de la Française des Jeux ? C'est pour répondre à cette question que les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ont rencontré 30 gros gagnants qui ont empoché un jour plusieurs millions d'euros. Dans leur livre, « Les millionnaires de la chance. Rêve et réalité », les témoignages attestent que devenir riche n'est parfois pas une sinécure. « Être perçu comme le riche n'est pas de tout repos », résument les deux chercheurs, particulièrement si l'on vient d'un milieu modeste. « En milieu populaire, cette ouverture des possibles est anxiogène : la richesse inattendue offre une multitude de potentialités dont on ne possède pas les clefs. Le gagnant se trouve démuni devant une plus ou moins grande fortune : il ne sait par quel bout la prendre. »
Après le coup de massue reçu par celui qui vient d'apprendre son nouveau statut de millionnaire, vient une période de désarroi et de questions. L'accompagnement de la Française des Jeux est alors capital pour surmonter le choc et se projeter dans l'avenir en apprenant à être riche. Les groupes de paroles qui réunissent les gros gagnants, parfois plusieurs années d'affilée, leur permettent de tenir le coup. Dès lors, pas étonnant que les gagnants rencontrés par les sociologues soient plutôt sages et ne succombent que très rarement à quelques folies. Les millions servent davantage à assurer l'avenir familial et parfois réaliser un rêve de toujours. Même si leur vie a forcément changé, certains gros gagnants renouent avec leur vie simple d'avant pour retrouver par exemple leurs collègues. Comme quoi s'il y contribue, l'argent ne fait pas forcément le bonheur…
Gagner soudainement une somme importante qui efface les incertitudes matérielles peut entraîner un réel et angoissant bouleversement. C'est pour aider les nouveaux gagnants à y faire face que le service Relations Gagnants de la Française des jeux offre gracieusement ses services d'assistance et de conseil depuis 1993.
« Comme une amicale »
« Nous prenons en charge les personnes qui gagnent des sommes d'au moins 1 million d'euros », explique Brigitte Roth, responsable du service Relations Gagnants, qui mobilise trois personnes à plein-temps. « Nous avons une première mission lors de la remise du gain. Cette première étape, qui consiste en une cérémonie suivie d'un déjeuner, permet d'échanger, de rassurer les gagnants, de mieux les connaître. Après, nous leur proposons notre programme d'accompagnement. Près de la moitié des gagnants suit ce programme », explique la responsable. Outre la lecture d'un livret de conseils, les gagnants ont la possibilité, s'ils le souhaitent, de participer à des ateliers pédagogiques pour se familiariser avec divers aspects de la fiscalité, la finance, le droit de la famille, etc. Des groupes de paroles entre gagnants sont également organisés par la Française des Jeux. Il y a une quinzaine de réunions par an. « Quand on gagne, on est comme un créateur d'entreprise. On a besoin d'information et de formation ; on a besoin d'être écouté et de parler ; et on a besoin d'avoir un réseau relationnel », résume Brigitte Roth, qui garde parfois des relations avec « ses » gagnants des années durant. « C'est un plaisir pour nous et pour eux, qui jouent le rôle des parrains des nouveaux gagnants. C'est un peu comme une amicale. »
Expert
« Quand on gagne, il y a une période de désarroi »
Michel Pinçon est sociologue. Avec son épouse Monique Pinçon-Charlot, ils viennent de publier « Les millionnaires de la Chance. Rêve et réalité » (Éditions Payot, 272 pages, 18,50€).
La Dépêche du Midi. - Avez-vous trouvé des similitudes dans le parcours des 30 gagnants que vous avez rencontrés ?
Michel Pinçon. - La similitude forte, c'est une certaine déstabilisation à la nouvelle du gain. Tous jouent pour gagner bien sûr ; cette éventualité a été rêvée, fantasmée. Ils y ont pensé mais pas de façon raisonnée. Quand cela arrive, ils sont pris de court. Quand ils gagnent plusieurs millions d'euros, certains se trouvent mal, y compris physiquement.
Le choc est psychologiquement trop violent ?
Oui, il y a une sorte de désarroi et la découverte de problèmes auxquels ils n'avaient pas pensé. Comment on va faire ? À qui on va le dire ? Faut-il le dire à la famille, aux collègues, aux enfants ?
D'où l'importance de l'aide offerte par la Française des Jeux ?
Tout à fait. On est très positif sur ce service et les gagnants que nous avons rencontrés sont extrêmement reconnaissants à la Française des Jeux de les réunir lors de ces ateliers-réflexion. Ils apprennent à gérer leur richesse et ce qui est important, c'est qu'ils parlent entre eux, c'est-à-dire à des gens qui connaissent les mêmes difficultés. Ces lieux d'échange sont comme un cercle dans lequel ils sont en confiance.
On a l'impression que les gagnants veulent conserver une vie normale et sont très raisonnables, ne font pas de folies.
C'est vrai. Hormis deux cas où les gagnants ont complètement changé de vie parce que le décalage devenait trop important avec leur vie d'avant, ce que l'on constate, c'est que l'argent du gain permet aux gagnants de réaliser une part importante de leur être. Le manque d'argent les empêchait d'avancer. En général, les gagnants du loto placent leur argent de façon prudente, ils ne flambent pas et ne font pas de folies. Beaucoup montent d'ailleurs une petite entreprise et certains reviennent dans leur travail.
Témoin
« J'ai mis six mois à m'en remettre »
Jacques Ansart* a gagné 53 millions de francs (environ 8 millions d'euros) en 1991 avec son frère Edmond. Il a appris qu'il était heureux gagnant le matin de Noël après avoir réveillonné toute la nuit. Il vit dans le Grand Sud.
Qu'avez-vous ressenti à l'annonce de la bonne nouvelle ?
Sur le moment on est vraiment déstabilisé. Avec le temps, on réalise, on se fait à l'idée d'être millionnaire. Il m'a fallu six mois pour m'en remettre.
Avez-vous eu peur de le dire par crainte des sollicitations ? Avez-vous caché que vous étiez le gagnant ?
Non pas du tout. Mon frère et moi avons décidé de le dire et tout s'est très bien passé. Notre famille, nos amis ont participé à la fête que nous avons organisée. J'ai même versé une « prime » de 2 500 F à tous mes collègues (300). Nous avons bien sûr eu des sollicitations, mais rien de bien méchant.
Ces millions ont-ils changé votre vie ?
J'étais fonctionnaire du trésor public. Avec mon frère nous avons créé une SARL et racheté le magasin d'instruments de musique que je fréquentais. Nous avons aussi créé une SCI.
* Comme tous les gagnants du livre, les noms et prénoms ont été changés.
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SOURCE: www.ladepeche.fr
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