Le serpent de mer des véritables origines d’Adolf Hitler resurgit aujourd’hui avec la publication, dans le magazine belge néerlandophone Knack des conclusions d’une étude génétique; conclusions reprises et développées notamment par le site du Daily Mail.
Cette enquête a été menée par un journaliste (Jean-Paul Mulders) associé à un passionné de l’histoire hitlérienne (Marc Vermeeren). Ils expliquent en substance avoir pu retrouver 39 membres vivants de la famille du dirigeant nazi (dont l’un de ses cousins, agriculteur autrichien) puis fait procéder à des examens génétiques à partir notamment de prélèvements de salive. Principale –et spectaculaire– conclusion: les auteurs annoncent que les différents profils génétiques qu’ils ont pu obtenir permettent d’affirmer qu’Adolf Hitler était porteur, sur ses chromosomes Y, d’une structure spécifique –bien connue des généticiens des populations– dénommée Haplopgroupe E1b1b (Y-ADN).
«Génétiquement lié à des gens qu'il méprisait»
Cette structure est caractéristique des Berbères de l'Afrique du nord-ouest chez qui elle serait apparue il y a environ 5.600 ans. Les spécialistes estiment que sa fréquence dans la population masculine se situe généralement autour de 50% au Maghreb et atteint parfois 80% dans certains groupes au Maroc. Il est aussi présent en Somalie et au Moyen-Orient. En Europe, il semble qu’on ne la retrouve (en de plus faibles proportions) pour l’essentiel que dans le sud de l’Espagne et de l’Italie. Cette structure est également statistiquement plus fréquemment retrouvée dans les populations séfarades et ashkénazes.
Conclusions des auteurs de cette enquête: le dictateur nazi a une ascendance berbère et/ou juive. Pour Jean-Paul Mulders, «on peut partir du postulat selon lequel Hitler était lié génétiquement à des gens qu’il méprisait». Un postulat qui incitera à mille et une interprétations. Reste qu’un postulat n’est pas une preuve et ce même si un «spécialiste de l’Université catholique de Louvain» explique qu’il s’agit là «d’un résultat surprenant, que n’aurait pas apprécié ou accepté Hitler qui ne savait probablement pas qu’il avait ses racines en Afrique du Nord», spécialiste qui ajoute:
«Il est difficile de prévoir ce qui va se passer avec cette information, tant pour les détracteurs que les partisans d’Hitler.»
Reste que Knack n’est ni Nature ni Science et que les auteurs ne fournissent pas les éléments scientifiques et généalogiques qui permettraient d’authentifier leurs dires. Ils se bornent à préciser que les échantillons d’ADN qu’ils ont pu réunir ont été testés dans des conditions de laboratoire les plus rigoureuses qui soient. Il faut d’autre part rappeler que les conditions de ces collectes biologiques effectuées en Europe et aux Etats-Unis avaient, il y a un an, alimenté une controverse.
Extrapolation à haut risque
Interrogés à ce sujet, plusieurs des meilleurs spécialistes français de génétique, dont le Pr Arnold Munnich (Inserm, Hôpital Necker Enfants malades, Paris) nous ont déclaré que les fondements scientifiques sont ici très fragiles et que les auteurs de ce travail font dire à leur minces données bien plus qu'elles ne peuvent dire. Une extrapolation à très haut risque, compte tenu du sujet.
Le Pr Jean-Paul Moisan, qui fut l’un des premiers à développer en France la technique des empreintes génétiques, fait la même analyse que son confrère. Il estime toutefois que cette affaire offre l’opportunité de rappeler quelques vérités à une époque qui continue de sacraliser –ou de diaboliser– l’ADN. Pour cet ancien chercheur à l'Inserm, aujourd'hui PDG de la société Institut génétique Nantes-Atlantique, si elle était démontrée, la présence de l’haplogroupe E1b1b dans les chromosomes Y d’Adolf Hitler n’aurait aucune signification particulière; si ce n’est qu’elle témoignerait indirectement que l’Autriche, la Hongrie et cette partie de l’Europe ont depuis des siècles connu de nombreux brassages de population.
Jean-Paul Moisan: «Arrêtons les fantasmes! Il n’y a pas de gènes français, de gènes allemands autrichiens ou berbères. Il y a certes bien des caractéristiques génétiques communes à telles ou telles populations, mais rien ne permet ensuite d’extrapoler et d’en tirer des conclusions délirantes. La grande difficulté est parvenir à faire comprendre que l’ADN peut permettre l’identification d’un criminel ou l’affirmation d’un lien de paternité, mais ne peut pas permettre d’affirmer que telle ou telle personne appartient à telle ou telle population, telle ou telle ethnie. Les yeux bleus sont assez fréquents en Europe du nord? Certes, mais il en existe aussi dans le Maghreb… Il nous faut dire et redire que la majeure partie de la diversité génétique de notre espèce se situe à l’intérieur même des populations, et non entre ces dernières.»
En février dernier, le généticien Bertrand Jordan abordait courageusement cette délicate problématique et ce à la lumière des derniers acquis scientifiques dans les colonnes du mensuel Médecine/Sciences.
Bertrand Jordan: «S’interroger, grâce aux nouveaux outils de la génomique, sur l’éventuelle différenciation génétique de groupes humains est parfois mal vu, notamment en France. On s’accroche à une formulation simpliste: “Nous sommes tous identiques à 99,9%, donc les races n’existent pas”, qui ne rend pas compte de la réalité dans sa complexité. Les derniers résultats obtenus dans ce domaine montrent bien que notre ADN garde la trace de nos ancêtres –rien d’étonnant à cela– mais aussi qu’il révèle toute la distance entre notre histoire génétique, notre constitution personnelle, et les catégories raciales. Catégories que l’on a, jusqu’il y a peu, prétendu fonder sur la biologie alors que –et l’histoire des Afro-américains le démontre– elles constituent une construction sociale. La “one drop rule” [régime longtemps en vigueur aux Etats-Unis selon lequel «une seule goutte» de «sang noir» (c’est-à-dire un seul ancêtre noir, même fort lointain) suffisait à faire de vous un noir], manifestation caricaturale de l’obsession de pureté raciale des “blancs” en fournit une illustration marquante –y compris dans l’inversion actuelle qui voit des individus génétiquement et phénotypiquement Européens se revendiquer comme Afro-américains…»
Les auteurs de l’enquête de Knack sont quant à eux bien loin de ces considérations. Ils estiment qu’il existe à Moscou (dans les sous-sols du Kremlin?) un fragment osseux de la mâchoire d’Adolf Hitler. Ils évoquent aussi un drap taché de sang retrouvé sur le divan de son bunker, où il se serait suicidé le 30 avril 1945. Knack demande donc au gouvernement russe l’autorisation de procéder à l’analyse génétique de ces restes, et ce «afin de mettre un terme aux spéculations qui depuis déjà 65 ans circulent sur la mort du Fürher». Comprendra qui pourra.
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Photo: La statue de cire d’Hitler au musée Madame Tussaud de Berlin. REUTERS/Tobias Schwarz
SOURCE: www.slate.fr
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