ZARKANZAR: Huit idées fausses sur la délinquance et la violence

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Huit idées fausses sur la délinquance et la violence



Laurent Bègue est professeur en psychologie sociale à l'université de Grenoble. Il publie ce mois de septembre « L'Agression humaine » chez Dunod. Pour Rue89, il revient sur
huit idées reçues qui vont bon train sur la violence.

1Le monde est de plus en plus violent

Au cours des deux derniers millénaires, la mortalité par homicide a été divisée par des chiffres qui vont de 10 à 100 dans le monde occidental.
Selon le criminologue Manuel Eisner, leur fréquence était d'environ 40 pour 100 000 au XVe siècle dans les grandes villes européennes. Ce taux a drastiquement chuté à 11 pour 100 000 au siècle suivant, et à 3,2 pour 100 000 au XVIIe siècle. Au XXe siècle, il était de 2 pour 100 000. Il s'élève désormais à 1,1 pour 100 000 dans notre pays.
Le monde moderne serait donc moins violent selon cet important critère. Les armes contemporaines s'avèrent incontestablement plus destructrices, mais selon les estimations de l'anthropologue de Stanford Lawrence Keeley, la proportion de morts par guerre était beaucoup plus élevée dans le passé.

2

La vidéosurveillance permet de faire diminuer la délinquance contre les personnes

L'idée d'un contrôle total ou « panoptique », à laquelle Michel Foucault a consacré de nombreuses pages dans « Surveiller et punir », est aujourd'hui amplement investie par les techniciens de la prévention situationnelle de la délinquance, qui estiment que « la visibilité est un élément central de la prévention ».
Plusieurs synthèses générales de la littérature scientifique internationale indiquent cependant que les caméras n'ont aucun impact sur les violences physiques et que leur effet sur les vols est faible et essentiellement limité aux effractions et vols dans certains parkings à risque.

3

Les femmes sont moins agressives que les hommes

Les hommes donnent plus volontiers des coups de poing, secouent, frappent avec un objet et s'engagent dans une bagarre. Mais les femmes se montrent quant à elles plus enclines à pincer, griffer, ou donner des coups de pied.
Les filles emploient plus souvent l'agression relationnelle, blessant les autres en propageant des rumeurs, ébruitant des mensonges ou exerçant le rejet social.
Concernant les agressions entre partenaires, une monumentale synthèse de la littérature a indiqué que les femmes étaient légèrement plus enclines que les hommes à agresser physiquement leur conjoint. Lorsque les agressions féminines sont graves, une arme est souvent employée (dans 86% des cas contre 26% quand c'est l'homme qui agresse une femme).
Toutefois, les blessures graves ou mortelles sont plus fréquemment commises par des hommes, ce qui peut s'expliquer en partie par les différences de force physique : les hommes ont en moyenne 35 kilos de muscles (contre 23 kilos pour les femmes) et leurs muscles sont jusqu'à 40% plus forts biochimiquement, kilo par kilo.

4

Les conduites d'agression augmentent à l'adolescence

L'observation systématique des interactions entre enfants en crèche et à l'école, ainsi que plusieurs enquêtes épidémiologiques démontrent qu'à l'exception d'un faible pourcentage d'enfants pour lesquels l'agression semble très stable, la majorité est de moins en moins encline à recourir à des conduites agressives entre la petite enfance et l'adolescence.
Cette observation n'est pas limitée aux environnements sociaux les moins difficiles. Selon une vaste étude, la grande majorité des garçons des quartiers les plus pauvres du Canada avaient de moins en moins souvent recours à l'agression physique entre 6 et 15 ans.

5

Les adolescents ayant une activité professionnelle sont moins délinquants que les autres

Les adolescents ayant un emploi rémunéré ne sont généralement pas moins mais légèrement plus délinquants que les autres.
Selon les recherches de Marc Leblanc, professeur de criminologie à l'université de Montréal, ce phénomène s'explique par le fait que l'activité professionnelle précoce, souvent précaire et peu gratifiante, peut soustraire à l'influence parentale structurante, exposer à des pairs susceptibles d'initier des actes délinquants et donner des moyens d'échapper à la surveillance des proches grâce à l'accès à de nouveaux moyens de locomotion, par exemple.

6

L'amour de soi rend moins violent

Selon un stéréotype bien ancré, la violence serait la regrettable conséquence d'un « moi » qui s'autodéprécie. Les enquêtes menées auprès d'individus ou de groupes violents, incarcérés ou non, démontrent au contraire que ceux-ci se caractérisent plutôt par un moi surdimensionné.
On considère que les personnes qui sont fortement d'accord avec des affirmations comme « j'aimerais que quelqu'un écrive un jour ma biographie », ou « si je dirigeais le monde, il serait un meilleur endroit pour vivre » ont une tendance narcissique, c'est-à-dire une admiration aveugle de leur propre personne.
Lorsque ces individus sont rejetés, reçoivent une mauvaise évaluation ou sont provoqués, ils se montrent beaucoup plus agressifs que les autres.

7

Les films violents permettent de se libérer de l'agression

Visionner régulièrement des films violents à 14 et 21 ans augmente les conduites agressives de l'adulte, indépendamment du QI, de la classe sociale, des pratiques éducatives parentales ou du niveau de tendances agressives.
Plusieurs synthèses de la littérature impliquant plus de 100 000 participants cumulés confirment ces résultats. Non seulement on n'observe pas le fameux phénomène de catharsis, mais la violence visionnée augmente la violence réelle.
Par ailleurs, donner foi à l'idée de catharsis suffit à rendre plus agressif. Lorsque l'on amène ainsi des personnes à croire que leur humeur irritée (suite à une provocation en laboratoire) ne changerait pas quoi qu'ils fassent dans l'heure à venir (à cause des effets secondaires de « gel de l'humeur » induits par une pilule de « bramitol » (un faux médicament) qu'ils avaient avalée et qui était censée augmenter leur temps de réaction à une tâche de psychologie cognitive), la colère produite par une provocation ne conduit pas à une agression.

8

L'effet de l'alcool sur le cerveau produit des actes violents

L'ivresse n'est ni une cause nécessaire ni suffisante des conduites agressives. Avoir été alcoolisés, les gens sont plus agressifs mais aussi plus altruistes ou plus amicaux. Tout dépend de ce sur quoi se porte l'attention de la personne ébrieuse : c'est l'effet de « myopie alcoolique ».
L'un des mécanismes explicatifs concerne l'interprétation des conduites d'autrui : des hommes alcoolisés en laboratoire (1 gramme d'alcool par litre de sang, soit l'équivalent de cinq à six demis de bière) sont plus enclins à penser qu'une action ambigüe est intentionnelle.
Nos travaux indiquent également que les effets de l'alcool s'observent même sans molécule d'alcool : des personnes qui consomment un cocktail ayant un goût d'alcool (placebo) et se croient alcoolisées sont plus agressives après une provocation.
Enfin, le simple fait de présenter à des individus quelques millisecondes des mots liés à l'alcool stimule l'agression sans qu'ils n'aient bu une seule goutte d'alcool.
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Illustration : une scène d'« Orange mécanique »
SOURCE:  www.rue89.com

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